Quand la raison s’incline devant la force : Réflexion sur le tragique divorce entre puissance et vérité ‘’Il n’y a pas de raison ici-bas, il n’y a que la force’’ Alexandre Atachi
Dans l’ordre
des idées, la raison devrait gouverner le monde. Elle est censée être la
lumière qui guide les peuples, le socle des institutions, la mesure des
décisions. Pourtant, les faits nous imposent une lucidité amère : ce n’est
point la raison qui régit la marche des hommes, mais bien la force.
À l’échelle
des nations comme dans les interstices du quotidien, la raison ne prévaut que
lorsqu’elle épouse la force. L’histoire regorge de ces exemples où l’autorité,
une fois dévêtue de sa puissance, se trouve reléguée au rang d’absurdité, voire
de nuisance.
Prenons le
cas du Bénin, mon pays. Il y a à peine dix-neuf ans, le Président Yayi Boni
incarnait pour beaucoup la voix de la sagesse, car il détenait le pouvoir
d’État. Il était la référence, la mesure de l’intelligence politique. Patrice
Talon, à l’époque marginalisé, fut réduit à un "individu", traité
avec condescendance par les rouages de la force officielle.
Mais la roue
du pouvoir a tourné. Talon, devenu Président, s’est mué en incarnation même de
la rationalité. Les discours qui hier le condamnaient sont aujourd’hui tus ou
révisés. Ce n’est pas qu’il a changé : c’est qu’il est désormais revêtu de la
force, et donc auréolé de la raison. Yayi Boni, à son tour, a glissé dans
l’oubli ou l’anathème. A une certaine époque, il était devenu pour un ministre
de la République un ‘’individu’’ qui ne devrait plus mettre pied sur les
installations de l’aéroport de Tourou.
Ce phénomène
n’est pas exclusivement béninois. Il est universel. En 2011, en Côte d’Ivoire,
le Président Alassane Ouattara, soutenu militairement par les forces françaises
(qui avaient pour objectif de vitrifier Gbagbo) et onusiennes, fut déclaré
détenteur de la légitimité face à Laurent Gbagbo, pourtant encore président en
exercice. Peu importait que les faits, les procédures ou même la volonté
populaire soient discutables : la force avait tranché, et la raison lui emboîta
le pas.
Aujourd’hui
encore, malgré les inquiétudes soulevées par un possible quatrième mandat de Ouattara,
il continue d’incarner la stabilité, non pas par la force de ses arguments,
mais par l’argument de sa force.
Il faut ici
opérer une distinction majeure entre raison
normative (celle qui devrait guider les actes humains) et raison effective (celle que les hommes
reconnaissent et admettent). Dans notre monde désenchanté, où la vérité est
élastique et la mémoire sélective, la force devient la matrice même de la
légitimité. Ce n’est pas la vérité qui l’emporte, mais la capacité à l’imposer.
Ainsi, dans
tous les domaines (politique, économique, médiatique, voire religieux), la
force précède le droit. La reconnaissance sociale n’est qu’un masque, dans bien
de cas, plaqué sur le visage du plus fort pour lui donner les traits de la vertu.
Ce constat,
aussi sombre soit-il, ne doit pas conduire au cynisme ou au fatalisme. Il
n’invite pas à glorifier la brutalité ou à idolâtrer le pouvoir. Il invite
plutôt à une prise de conscience essentielle : si l’on veut que la raison
triomphe, elle ne peut rester désarmée. Il faut lui adjoindre une force, mais
une force éthique, une puissance enracinée dans la justice, la vérité et la
dignité humaine.
Il ne s’agit
pas de dominer pour dominer, mais de conquérir une force qui ne nie pas l’humanité,
une force capable de défendre, de protéger, de faire rayonner ce qui est juste.
De ce qui
précède, il convient de retenir, loin des utopies naïves, que notre époque exige
une lucidité active. La raison seule, sans bras pour l’incarner, est un rêve
inutile. Mais la force, sans conscience, est un cauchemar.
Il nous faut
donc un nouveau pacte : celui d’une raison
armée d’humanité, d’une puissance
habillée de vérité. Car, à défaut, le monde continuera de se plier
devant ceux qui hurlent plus fort, non ceux qui pensent plus juste.
Alexandre
Atachi
Écrivain, penseur engagé, auteur du blog Le Factuel
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