Patrice Talon face à lui-même : une interview entre aveux calculés et contradictions assumées
L’interview
récemment accordée par le président béninois Patrice Talon dresse le portrait
d’un homme d’État oscillant entre confession personnelle et stratégie politique
assumée. Si son récit de la trahison d’Olivier Boko prend des accents de
tragédie shakespearienne, il pose toutefois des interrogations plus profondes
sur la concentration du pouvoir, la fragilité des contre-pouvoirs et la
question brûlante des prisonniers politiques.
D’un ton presque
introspectif, le chef de l’État expose la métamorphose de son ancien allié,
passé du statut de "frère" à celui de "monstre" présumé
conspirateur. Derriere cette rhétorique empreinte d’émotion transparaît une
réalité autrement plus inquiétante : comment une figure non élue a-t-elle pu
cumuler des prérogatives aussi stratégiques, allant du renseignement à la
sécurité présidentielle elle-même ? La confession, loin d’absoudre le
dirigeant, questionne plutôt son discernement et la perméabilité des rouages du
pouvoir.
Par ailleurs, si
le président Talon insiste sur sa volonté de respecter la Constitution en
quittant ses fonctions à l’issue de son mandat, ses propos laissent planer une
ombre sur la suite. L’évocation du ‘’prochain président’’ qu’il souhaite voir
poursuivre son œuvre révèle une ambition de continuité sous contrôle. On peut y
lire une démocratie où l’alternance semble soigneusement balisée.
Cependant, l’image
de modernisateur qu’il tente de projeter se fissure lorsqu’on aborde la
question sensible des détenus politiques. Le président rejette fermement cette
appellation, affirmant que « nul ne bénéficie d’immunité sous prétexte de faire
de la politique ». Cette rhétorique, bien rodée, masque toutefois une réalité
plus crue : celle d’une opposition muselée, incarnée par des figures
emblématiques comme Reckya Madougou et Joël Aïvo, tous deux incarcérés depuis
2021.
La ligne de
défense du chef de l’État, qui présente ces personnalités comme de simples
"acteurs politiques condamnés", peine à convaincre. Le boycott de
leur procès par leurs avocats, les lourdes peines infligées, et la réprobation
de la communauté internationale, notamment les appels répétés de l’ONU pour
leur libération, viennent ternir le tableau d’un Bénin ‘’respecté et performant’’.
La contradiction
est d’autant plus frappante que Talon prône une gouvernance fondée sur la
rigueur institutionnelle et la transparence électorale. Or, comment concilier
cet idéal démocratique avec la persistance d’un climat où l’adversité politique
se paie de la prison ?
En refusant d’user
de son droit de grâce, qu’il considère comme une forme d’acquiescement à la
thèse du procès politique, le président se drape dans une posture
d’intransigeance morale. Mais cette fermeté, présentée comme gage de justice,
apparaît davantage comme un verrou stratégique destiné à neutraliser toute
figure d’opposition capable d’incarner une alternative crédible.
Par ailleurs, la
posture de victime face à la dégradation des relations avec ses voisins et la
recrudescence du terrorisme dans le nord du Bénin peine à masquer une réalité
géopolitique plus complexe. La rupture du dialogue sécuritaire avec le Niger et
le Burkina Faso interpelle sur la capacité du Bénin à assumer un leadership
régional qui, jusqu’ici, reste entravé par des tensions réciproques.
Ainsi, la promesse
d’une transition exemplaire et d’une présidence sans troisième mandat se heurte
à une réalité où la démocratie béninoise semble moins vibrante qu’elle n’y
paraît. Entre la concentration du pouvoir autour d’un cercle restreint et la
persistance de détenus aux statuts hautement politiques, la perspective d’une
alternance libre et sereine paraît compromise.
In fine, l’histoire
retiendra-t-elle de Talon l’image d’un réformateur ou celle d’un verrouilleur ?
La réponse, sans doute, se jouera dans la gestion de la fin de son mandat et du
sort réservé à ceux qu’il persiste à ne pas nommer ‘’prisonniers politiques’’.
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